Le petit festin

L'aube débutait à peine. L'heure était encore bleu et des lames de brume flottaient immobiles à travers les champs et les arbres du Nexus. Au village ce matin, comme à tout les matins depuis quelques semaines, le silence dominait ceux qui y habitait. Un silence froid et inhabituel. Un silence de mort.

Dans la demeure des Roosengoth et à la maigre lueur d'une bougie, je ressassait ce que je venait d'écrire dans mon journal...

" Le Nexus n’est pas au bout de ses fléaux. Les gardiens le protège de bien nombre de maux mais avec t’en bien de mal, ils ne peuvent le protéger de ce qui l'incombe aujourd'hui. Une mystérieuse maladie contagieuse et mortel se propage parmis la population à une vitesse incroyable.

Nous avons fait quelque tentative afin de découvrir d’où provenait sa source ou qui en était l’auteur. Ce pourrait t’il que ce soit une vengeance de la Reine araignée…? Ou une autre invention abracadabrante et incontrôlable des technomages…?

Quoi qu’il en soit, nous avons dû arrêter nos recherches de peur de contaminer nos humains. Les Damovyrs, qui ne peut être atteinte de maladie, nous protège et s’assurent que personne ne s’approche de notre demeure pendant que nous nous terrons à l’intérieur.

Conséquemment, cela freine mes recherches et l'émergence du cimetière. La population a maintenant besoin plus que jamais d’un lieu sacré pour enterrer ses morts... L'ironie du sort. Maintenant, je ne peux qu’espérer que le Nexus voit l’utilité de son cimetière. Je reprendrai mes expériences dès que c’est possible de le faire.
En ces temps de pandémie, je ne peux que laisser le silence de la mort parler pour moi."

Je sentais que Jayna me regardait. Toute la froideur du Nexus ne pouvait éteindre l'ardent regard de ma bien aimé sœur. Est-ce que c'était mes gestes ou bien mon visage songeur qui la captivait lors de mes séances d'écriture?... je l'ignore. Un mélange des deux sans doutes. Ce que je sais, c'est qu'elle avait déjà deviné ce que je venais de mettre sur papier. Jayna me lisait parfaitement sans même regarder un seul de mes mots.

J'allongea un regard vers la fenêtre et constata que la brume commençait à s'estomper.

- Aujourd'hui... c'est aujourd'hui. Notre proximité est une occasion de planifier la suite. Nous devrions organiser un repas familial. Je ressens ta faim ma sœur... Elle est intolérable. Ai-je raison de croire qu'il en est ainsi pour toute la famille?

Le regard de sa soeur se dirigea vers l'extérieur et elle en fit autant. Le mince filament de brume restant sembla fuir jusqu'à s'estomper complètement lorsque la Damovyr laissa s'échapper un long soupir, fixant l'inactivité des lieux. Ce soupir ressemblait à ce dernier moment, celui où la vie quitte à jamais le corps d'un être pour se rendre sur Anwynn.

Après un court silence à se mordre les lèvres de ses crocs, Jayna pris parole.

- Tu vois juste, encore une fois ma chère soeur. Tu ne peux t'imaginer à quel point cette faim me ravage depuis un certain temps. Cet endroit, ce Nexus, me ramène aux premières années où j'ai pu honorer notre père ainsi que cette famille. Ce contrôle que nous avons acquis avec les décennies, cette faim qui pouvait être comblée durant bon nombre de temps, il n'en est rien ici. L'instinct du chasseur bestial est bien plus en nos veines que dans notre plan. Et bien sur, nous devons faire preuve de retenu ici, afin de ne pas ternir le nom de cette famille, de notre Père. Mais je t'avoue en toute limpidité que ce besoin m'est tellement fort en ces jours que je me jetterais sur la première jugulaire se présentant devant cette modeste demeure, que ce soit un gardien du portail, une de ces catins d'elfe noire, un paysan ou même cet idiot de Gabriel Murano.

Jayna pris un long respire puis serra ses dents en reprenant.

- Oui, cette mélodie cardiaque me criant ardemment de la consumée jusqu'à la fin de sa symphonie. Ce rythme parfait, comme celui d'une armée avançant vers le champ de bataille. Ce battement idyllique dont le tempo augmente, créé par la peur et à la fois par l'extase de perdre la vie, s'apparentant aux pas de mille hommes avançant avec impatience vers le combat qui leur sera peut-être la grâce de leur Dieu. Oui, ma bien-aimée, cette soif serait incontrôlable, je ne pourrais me résoudre à ne pas me rassasier de ce nectar jusqu'à la dernière goûte, mais il le faut, pour le bien de cette famille en ces lieux, et au nom d'Arawn.

La Damovyr repris un ton plus calme, et plongea son regard dans celui de Valon.

- Mais le temps passe, et ici, je le ressens. Bien que moins dommageable à cours terme que pour nos humains, quoi que, je doute pour la population, je ne saurai me sustenter encore bien longtemps. Malik et Zhyth ont toujours été bien plus solides sur leur avarice du sang, mais tôt ou tard, ils seront dans le même état d'esprit que moi. Je n'ose imaginer ce que deviendrait cet endroit si notre emprise sur nous-même transgressait la voix de la raison.

Puis, la Damovyr souria, fixant à nouveau le village dans son silence mortuaire.

- Mais tout cela se résume à une épreuve intéressante proposée par notre Père. J'aime bien! Mais j'ai faim! Il faut trouver un moyen de réquisitionner cette bénédiction qu'Arawn nous a offert en tant que Damovyr et de satisfaire notre faim en ces lieux.

Le regard bleuté se reposa finalement dans celui de la Grande Prêtresse, et Jayna dévoila encore une fois ses majestueux crocs à travers son sourire narquois.

- Nous devrons mettre un terme à bien des maux, ma soeur, il suffit d'établir des priorités! Je suis partante pour mettre dans le haut de cette liste un petit festin!

Une épreuve intéressante avait déclaré ma sœur... Je ne pouvais nier que cette situation était plutôt singulière. Le portail des mondes était bien évidement fermé jusqu'à nouvel ordre des Gardiens afin de ne pas contaminer les autres univers. Mes frères et sœurs avaient l'opportunité de ''voyager'' pour se procurer de la nourriture mais depuis que le portail était inaccessible, la faim fit naître en eux une soif de plus en plus intense. Bientôt, ce ne sera plus qu'une simple question de chasse mais fondamentalement une question d'instinct de survie. Et c'est là que le carnage commencera...

Je déposai mon livre sur la petite table en bois et pris une gorgé de ce qui devait être du mauvais vin. Je fis la grimace.

- Nous prendrons des mesures exceptionnels pour ce festin et j'ai bien peur de devoir en aviser les Gardiens. Peut-être se porteront-ils eux même volontaire...

Je ne pu m'empêcher de laisser échappé un rictus.  Effectivement, si les Gardiens ne se trouve pas être compréhensif envers notre situation, ils auront à confronter un plus gros problème comparé à leur petite pandémie.

- Mais nous avons peut-être une autre option. À la vue de notre réalité, les Gardiens pourront peut-être faire une exception et nous laisser tous retourner au Luxor. Si nous devenons une menace... Et le vin sera meilleur chez nous.